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  • Photo du rédacteurAissata Sylla

Africain et fier?


Je me souviens quand j'étais petite, je rêvais d'aller passer les vacances en France ou aux États-Unis mais je tremblais de peur chaque fois que mes parents me sortaient la fameuse menace : "Si ça continue comme ça, tu iras passer les vacances au village". Maintenant, avec du recul, je me demande pourquoi j'étais autant stressée par la simple idée de passer du temps dans cet endroit qui a hébergé mes ancêtres, bercé l'enfance de mes grands-parents et qui regorge d'un immense héritage culturel...

N'avez-vous pas remarqué que nous les africains, avons tendance à négliger voire à dévaloriser certains aspects de notre authenticité au profit des valeurs et modes de vies occidentaux ?

Regardons juste nos choix de destinations touristiques. Le voyage de rêve d'une bonne partie de mes compatriotes est celui effectué à Dubaï, en France, en Espagne ou avec un peu de chances, en Afrique du Sud. Certaines personnes n'ayant jamais voyagé peuvent même parler de Paris comme s’ils y avaient vécu toute leur vie. Mais très peu nombreux sont ceux qui diront vouloir visiter les belles plages du Zanzibar, les magnifiques paysages du Congo ou les pyramides en Egypte : faire du tourisme en Afrique n’est même pas une option. Le plus malheureux de tout cela, c'est que la plupart des gens ne choisissent pas de délaisser l'Afrique pour visiter l'occident de manière volontaire, ils ne savent juste pas que leur continent a des destinations touristiques de qualité. Nous nous contentons de ce que nous voyons dans les médias, sans même nous demander à quoi ressemblent nos pays voisins.

Ce phénomène est encore plus flagrant dans le cas des langues africaines. Les observations qui suivent sont basés sur mon expérience personnelle et concernent plus les pays qui n'ont pas de langue locale dominante tel que le Bambara au Mali ou le Wolof au Sénégal. Très souvent, un africain qui parle uniquement une langue africaine est considéré comme "villageois" ou "gaou"(1), alors qu'une personne ne parlant que le Français ou l'Anglais est considérée comme éduquée. L'évolution dans la hiérarchie sociale est fréquemment associée à un détachement des langues et traditions africaines vers des habitudes et styles de vies plus occidentaux. Nombreux sont les enfants qui se font réprimander à l'école et même à la maison, parce qu'ils s'expriment en langue locale au lieu du français. Juste en regardant ma génération, il y a de moins en moins de jeunes qui parlent leurs langues (y compris moi même). Et ceux qui ont la chance de les parler, ont honte de le faire dans certains milieux sociaux. Pourtant, tous les peuples occidentaux à qui nous empruntons nos langues nationales n'ont aucun embarras à s'exprimer dans leurs langues. Avez-vous déjà vu un Américain qui a honte de parler en anglais ? Jamais ! Nous risquons ainsi de perdre ces plus de 2000 langues qui représentent l'essence même de l'identité et du multiculturalisme africain. Qui sommes-nous dans ce monde si nous ne sommes même pas capables d'exprimer nos pensées avec des mots qui sont les nôtres ?

Ces problèmes identitaires sont visibles dans toutes les sphères de la société. On les voit dans le monde du travail où une expérience professionnelle en occident est plus valorisée qu'une expérience locale, dans la vie quotidienne où les produits importés sont perçus comme de meilleure qualité que les produits locaux ou lorsque toute personne ayant un fort accent "africain" est sujet de moqueries.

Qui sont les responsables de ce problème ? Bien que lié à la colonisation, à la mondialisation, et à pleins d'autres facteurs, nous y avons tous notre part de responsabilité. Pointer du doigt qui que ce soit est loin d'être mon objectif. Le plus important est de prendre conscience du problème et de nous empresser de le résoudre au mieux de nos capacités. Il serait dommage que les futures générations ne profitent pas des richesses de leur héritage, seulement parce que nous n'avons pas réussi à les conserver et à nous les approprier. Ne serait-ce pas beau de voir une Afrique dont les habitants regorgent de fierté pour leur continent ? Une Afrique qui sait avec certitude qu'elle n'a rien à envier aux autres et qui s'assume à 100% ?

La bonne nouvelle est qu'il y a de l’espoir ! Il y a depuis peu une vague de fierté africaine qui prend place. Des initiatives visant à célébrer et à faire découvrir l’Afrique qui voient le jour. Celles-ci incluent des écoles de langues africaines, des projets tels que African Trip, Visiter l'Afrique ou Tastemakers Africa qui nous font redécouvrir la beauté de notre continent et l'émergence d'initiatives dans le genre de Afro Cooking ou Blackspoon qui font la promotion de la gastronomie africaine. On constate également un nombre croissant de personnes désireuses d'apprendre leur histoire, une volonté grandissante de consommer local et d'affirmer son "africanité". Mais est-ce un effet de mode ou une vraie transformation de la société africaine ?

L'éternelle optimiste que je suis espère que ce sont des efforts qui perdureront dans le temps. Mais pour cela, nous devons tous mettre la main à la pâte et ne pas se contenter du dur travail fourni par les autres. Toute action, aussi petite qu'elle soit, compte. Sans le savoir, nous inspirons tous quelqu'un, quelque part, qui à son tour inspirera quelqu'un d'autre. Donc soyons fiers de nos origines, intéressons-nous à nos traditions, à notre histoire, parlons haut et fort nos langues et partageons ce savoir avec notre entourage !

(1)Expression taquine venant du nouchi (argot ivoirien) désignant une personne ignorante, naive

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