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  • Photo du rédacteurAissata Sylla

La charte de Kouroukan Fouga ou la charte du Mandén


“Pépé a retrouvé une sorte de constitution qui date du temps de Soundjata Keita, je pense que cela devrait t’intéresser, je te l’envoie!” me disait ma tante il y a quelques semaines. C’est ainsi que j’ai découvert la charte de Kouroukan Fouga.

Avant cette découverte, on m’aurait demandé à quand remonte le premier texte dans le genre d'une déclaration des droits de l'homme, j’aurais tout de suite pensé à la déclaration universelle des droits de l’homme en 1789. Imaginez donc ma surprise lorsque j’ai appris que cette charte datant du 13ème siècle et originaire de l'empire du Mali (aussi appelé le Mandé, Mandén ou Mandingue), était un des premiers textes traitant des droits de l'homme.

En effet, selon l’histoire, vers 1235, après de nombreux affrontements, l'armée de Soundjata Keita remporte la bataille de Kirina contre le cruel Soumaoro Kanté. Cette victoire représente la naissance de l'empire du Mali (constitué des actuels Mali, Burkina Faso, Guinée, Sénégal, Gambie, Guinée Bissau, Mauritanie et une partie de la Côte d'Ivoire). C’est dans l’optique de réguler et d’assurer le bon fonctionnement de cet empire que la charte du Mandén a été transmise à Kouroukan Fouga (au mali, près de la frontière de la Guinée).

Elle a été transmise de manière orale de génération en génération par les griots (1), avant d'être retranscrite de manière écrite. Son caractère oral est la cause de plusieurs controverses quant à son authenticité. Cependant, elle est tout de même reconnue comme patrimoine culturel immatériel de l'humanité par L'UNESCO.

Bien que datant de 800 ans, la pertinence d'une grande partie des sujets abordés dans cette charte est frappante. Voici donc quelques petites réflexions sur certains sujets abordés qui m’ont semblé d’actualité d’une manière ou d’une autre, dans l’Afrique d’aujourd’hui.

Le droit d'aînesse

Article 18: "Respectons le droit d'aînesse". Cet article m'a juste fait sourire. Combien de fois ai-je entendu “Respecte moi, je suis ton grand frère/ ta grande sœur!”. Le droit d’aînesse est ancré dans les traditions d'Afrique subsaharienne comme le montre si bien cet article. Les plus âgés ont une autorité incontestable sur leurs cadets. Cette manière de fonctionner n'a jamais été remise en question et a toujours plus ou moins fonctionné. Consulter les ainés avant de prendre une décision reste primordial dans le fonctionnement des sociétés africaines. Cependant, ce droit d'aînesse devrait-il être appliqué dans toutes les sphères de la société? Il est très important dans la sphère familiale et sociale, mais peut être un frein dans la sphère professionnelle. Par exemple, un des défis souvent rencontrés par les jeunes entrepreneurs en Afrique est la difficulté de s'imposer en tant que leader, et d'être pris au sérieux parce qu'ils sont trop jeunes. En effet, comment donner des directives à un personnel plus âgé sans que celui-ci ne se sente insulté? Les mêmes contraintes se posent lorsqu'une personne plus jeune a la responsabilité de décider ou participe à un comité de prise de décision. Comment trouver le juste équilibre entre le respect du droit d'ainesse et la montée des jeunes dans le monde professionnel reste donc un défi à relever.

La place de la femme dans la société

De nos jours, la femme africaine se bat encore pour affirmer sa place dans la société et pour recevoir le respect qu’elle mérite. Nombreuses sont les femmes victimes de violences conjugales et peu sont celles en position de pouvoir et de prise de décision. Pourtant, la charte du Mandén parle de la femme dans les articles 14, 15 et 16. Elle exigeait déjà que la femme soit “associée à tous les gouvernements”. On peut aussi lire sur la charte "n'offensez jamais les femmes" et "ne portez jamais la main sur une femme mariée". 800 ans plus tard, nous revendiquons encore les mêmes principes. Étaient-ils en avance sur leur temps, ou est-ce notre évolution qui est vraiment trop lente? Telle est la question que je me pose…

Le respect de l'environnement

L’environnement est un des grands défis actuels de la planète. Nous assistons à des températures de plus en plus élevées, des saisons complètement déréglées, des espèces en voie de disparition. Nous sommes amenés à faire attention à notre consommation d’électricité et à être conscients de tous les problèmes qui menacent la planète. Pourtant, dans beaucoup de nos pays, ces sujets sont loin d'être une priorité. Le recyclage est un concept inconnu au quotidien des populations, et le respect de la nature encore plus. Les gens ne se privent pas pour jeter leurs ordures dans la rue et uriner dehors est tout à fait normal. En général, on fait attention à notre consommation d’électricité simplement pour éviter que la facture soit trop élevée et certainement pas pour le bien de la planète. C’est peut-être pour cela que l’article de la charte qui m'a le plus surpris est celui qui disait “Le chasseur est chargé de préserver la brousse et ses habitants pour le bonheur de tous” (article 37). La protection de l'environnement, de la faune et de la flore était une priorité à cette époque là. "Oui, mais l'Afrique a déjà trop de problèmes à gérer pour penser à la nature"diront certains. Effectivement, l'Afrique a tellement de problèmes à gérer qu'à force de penser ainsi, on n’en réglera aucun. Les problèmes environnementaux sont d’une importance majeure, car sans terres habitables ou cultivables, sans poisson à pécher (eh oui! Plus de poisson braisé parce que les eaux seront trop polluées) et sans animaux dans la nature pour faire marcher l'industrie touristique de certains pays, croyez-moi que cela va être dur!

Se replonger dans l'histoire et découvrir cette charte a été une expérience très intéressante qui a suscité en moi des réactions contradictoires.

Illustration de Soundjata Keita

J'ai tout d'abord ressenti un immense sentiment de fierté et de joie. Parce que oui, nous avons une histoire riche. Riche dans sa particularité et dans ses enseignements. Je ne pouvais m'empêcher de sourire en pensant au fait que l'Afrique avait hébergé une des 1eres chartes de ce genre.

Mais ce sentiment de fierté a vite été suivi par un sentiment de déception et de révolte. Comment se fait-il que 800 ans plus tard, nous nous retrouvons à revendiquer les mêmes choses? N'avons-nous aucunement évolué depuis lors? Nous avons certes assisté à des progrès au niveau scientifique et technologique, mais sur le plan humain nous stagnons. Je ne peux m'empêcher de me demander ce que serait ce monde si nous avions appliqué au moins la moitié des recommandations de cette charte.

Je pense que nous gagnerions tous à nous référer de temps en temps au passé pour profiter de l'abondance de savoir que l’on peut y trouver.

Comme le dit un proverbe africain: "La force du baobab est dans ses racines". Sur ce, je nous invite à explorer nos racines et à y puiser le maximum de force pour aller de l'avant.

(1) Personne qui officie come communicateur traditionnel en Afrique occidentale de manière orale

Sources:

http://www.rfi.fr/emission/20150222-mali-kouroukan-fouga-charte-histoire-memoire

http://www.afric-impact.org/AI/PDF/fiches_educatives/fiches_thematiques/96117.pdf

https://jfakiblog.com/2014/08/22/afrique-monde-la-charte-de-kurukan-fuga-de-1236-memoire-et-avenir-de-letat-de-droit-africaine/

http://www.unesco.org/culture/ich/fr/RL/la-charte-du-manden-proclamee-a-kouroukan-fouga-00290

http://lewebpedagogique.com/patco/tag/la-bataille-de-kirina/

http://chantshistoiremande.free.fr/Html/krina1.php

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